Failles actives et séismes : (2) Analyse des déformations à partir des données images satellites
Bertrand Meyer,PhD, Labo. de Tectonique, et Geneviève Brandeis, PhD, Labo. de Dynamique des Systèmes Géologiques
Depuis une vingtaine d'années, les géologues utilisent couramment les données spatiales et observent la Terre depuis l'espace.
Ces informations permettent d'étudier les failles actives de manière fine et sur de très vastes surfaces.
Les images des satellites LANDSAT et SPOT sont ainsi devenues l'outil de travail indispensable à toute évaluation du risque sismique.
Les glissements le long des failles "vus" par les satellites :
L'utilisation de l'imagerie par satellite est très efficace pour détecter et étudier les déformations cumulées sur plusieurs milliers, voire centaines de milliers d'années.
Voici un exemple de faille étudiée grâce au satellite SPOT.
La figure 1a représente un détail de l'une des plus grandes failles actives d'Asie centrale, la faille du Kunlun. La trace de cette faille décrochante est nette comme un trait de couteau : elle décale de manière systématique les rivières qui parcourent un cône alluvial postglaciaire. Le sens de ces décalages en baïonnette indique qu'il s'agit d'un décrochement sénestre qui peut être restauré (figure 1b).
Si l'activité des décrochements et des failles normales peut être assez facilement décelée sur les images prises à partir du satellite, ce n'est pas le cas des failles inverses dont la signature morphologique très ténue rend l'exercice plus délicat.
Une fois repérées et cartographiées, il faut ensuite décrire le comportement des failles: mesurer leur vitesse moyenne de mouvement, estimer magnitude et récurrence de leur séisme maximal.
Voici, sur le terrain, la trace de la faille de Chang Ma, une autre faille active d'Asie centrale. La faille décale trois collines de manière essentiellement sénestre et un peu normale (figure 2a). En levant deux profils topographiques de précision, l'un au sommet de l'escarpement cumulé, l'autre à sa base, on définit la géométrie du paysage décalé (figure 2b). On détermine qu'un décalage horizontal sénestre de 55 m s'est produit depuis la formation des collines (figure 2c). On peut alors restaurer le paysage initial en annulant le déplacement sur la faille et faire disparaître l'escarpement cumulé (figure 2d).
La datation de la morphologie décalée permet alors de déduire la vitesse moyenne de mouvement sur la faille. Pour ce site, la morphologie est nappée d'une couche de lÏss dont la datation par thermoluminescence fournit des âges voisins de dix mille ans. On obtient donc une vitesse moyenne de glissement horizontal sénestre de 5.5 mm/an. La vitesse moyenne calculée pour cette faille n'indique évidemment pas un glissement lent et régulier.
Le déplacement se fait au contraire par brusques incréments lors de chaque tremblement de terre (figure 3a). L'escarpement résiduel cumule donc les déplacements des séismes précédant celui de 1932 (figure 3b). Connaissant la vitesse moyenne de la faille (5.5 mm/an) et l'incrément de déplacement co-sismique (environ 6m), on estime que la récurrence moyenne de séisme du type de celui de 1932 est de l'ordre de 1000 ans.
L'interférométrie Radar
Si l'utilisation de l'imagerie par satellite est particulièrement efficace pour détecter et étudier les déformations cumulées qui moyennent plusieurs cycles sismiques, elle l'est aussi pour l'étude des déformations instantanées. Une nouvelle technique utilisant un radar à ouverture synthétique (SAR) embarqué à bord d'un satellite permet de visualiser le champ de déformation associé à une rupture sismique.
Cette technique repose sur le traitement interférométrique des images SAR. Les principes sont les suivants: le satellite survole une région donnée et fabrique une image de cette région. Chaque image est composée de nombreux pixels élémentaires dont la phase est fonction de la distance entre le sol et le satellite. En différenciant la phase de deux images acquises sur une même région à deux dates différentes, on obtient les déplacements de la surface du sol entre ces deux passages.
Cette technique a été utilisée pour la première fois par une équipe française lors du séisme de Landers. En différenciant une image acquise avant le séisme et une image acquise après, ils ont mesuré, sur une très vaste surface (100kmx100km) et avec une précision remarquable (environ 4cm) les déplacements co-sismiques associés au séisme de Landers. Depuis la démonstration de ses capacités, cette technique a été appliquée à d'autres séismes.
La figure 4 correspond à l'image interférométrique produite pour un séisme de magnitude 6.6 qui s'est produit en 1995 au Nord de la Grèce. Le système de failles normales activé lors de ce séisme (en blanc sur la figure 4a) a été superposé à l'image interférométrique représentant la déformation co-sismique. Chaque frange interférométrique représente un contour d'iso-déplacement d'environ 3 cm de la surface du sol dans la direction du satellite. Les franges circulaires visibles ici dessinent une dépression dont le bord Sud est limité par la trace des failles normales qui ont rompu lors du séisme. Les 13 franges que l'on peut dénombrer indiquent que le maximum de subsidence est de l'ordre de 40 cm au niveau du compartiment effondré. En intégrant les informations sur le réseau de failles, on peut ensuite modéliser le champ de déformation observé en assimilant les failles à des dislocations dans un milieu élastique (figure 4b).
Vers le suivi de l'évolution des petits déplacements
L'interférométrie Radar a aussi permis de détecter de petits mouvements (quelques centimètres) au voisinage de la faille de Landers dans les deux années qui ont suivi le séisme. Ce résultat important démontre les capacités de cette technique pour l'analyse des déplacements post-sismiques. Il donne l'espoir de pouvoir aussi détecter les très petits déplacements auxquels on s'attend avant un séisme.
Il est envisageable que l'on puisse à terme suivre l'évolution temporelle des plus petites déformations pré-sismiques pour étudier le déclenchement d'un grand séisme avec la finesse nécessaire.
Institut de Physique du Globe de Paris - Mise à jour 11/2024
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