La Dynamique du Manteau Terrestre
Michael Le Bars, , ancien Doctorant - Labo de Dynamique des Systèmes Géologiques
Le manteau terrestre s'étend depuis la base de la croûte (quelques kilomètres de profondeur) jusqu'au noyau liquide (2900 km de profondeur). Il est constitué de roches solides, qui ne fondent que très localement, près de la surface, et en petite quantité.
Toutefois, ce manteau solide a un comportement fluide à l'échelle des temps géologiques (plusieurs millions d'années) : il se déforme avec des vitesses typiques de l'ordre du cm/an, ce qui engendre par exemple la tectonique des plaques en surface.
Le Phénomène Physique : La Convection Thermique
Principe général.
Un fluide dilatable soumis à un chauffage suffisant se met en mouvement : c'est la convection thermique. L'exemple le plus simple est celui de l'eau que l'on fait bouillir sur une plaque chauffante : au voisinage de celle-ci, le fluide se réchauffe, devient plus léger et se met à monter, tandis qu'à la surface, au contact de l'air, il se refroidit, devient plus lourd et se met à descendre.
Deux types de structure peuvent alors apparaître : des rouleaux correspondant à un mouvement circulaire du fluide sur toute l'épaisseur du système, ou des panaches, conduits très étroits qui apparaissent au niveau des limites chaudes et froides du système et se dirigent vers la limite opposée.
Un unique paramètre suffit pour caractériser l'existence et l'intensité de la convection : le nombre de Rayleigh (Ra). Il est égal au rapport entre le phénomène moteur du mouvement (la poussée d'Archimède) et les phénomènes résistants (diffusion de chaleur et frottements visqueux). Lorsque Ra est inférieur à une valeur critique Rac de l'ordre de 1000, l'énergie apportée au système est insuffisante : le fluide demeure immobile. Mais lorsque Ra est supérieur à la valeur critique Rac, le fluide se met en mouvement : le système convecte.
La seule étude du nombre de Rayleigh permet donc de caractériser la dynamique d'un système. Dans le manteau terrestre, ce nombre de Rayleigh est de l'ordre de 100 millions, très largement supérieur à la valeur critique : bien que constitué de roches solides, le manteau convecte donc.
Les difficultés inhérentes au manteau.
Il s'avère cependant difficile d'appliquer les lois théoriques simples au système complexe terrestre. Tout d'abord, les conditions aux limites du manteau sont très différentes suivant que l'on se trouve sous un continent ou un océan. Par ailleurs, les propriétés physiques du manteau (par exemple la viscosité) varient fortement avec la profondeur. Il existe de plus des transitions à l'intérieur du manteau dont l'influence sur la convection est encore mal connue : par exemple, à 670 km de profondeur, les roches du manteau subissent une réorganisation, marquant la séparation entre le manteau " supérieur " et le manteau " inférieur ". Enfin, les roches du manteau contiennent des éléments radioactifs, entraînant un chauffage interne, qui n'est pas homogène sur tout le manteau.
La dynamique convective du manteau est donc très compliquée, et les géophysiciens s'appuient sur différentes observations géochimiques et géophysiques pour parvenir à une modélisation satisfaisante.
Tectonique de plaques et points chauds.
La dynamique du manteau constitue le moteur de la tectonique des plaques, et est donc à l'origine des séismes et d'une grande partie du volcanisme. En suivant le modèle physique simple de la convection, les dorsales océaniques correspondent à la montée de matériel chaud, et les zones de subduction à la descente de matériel froid, formant ainsi dans le manteau un certain nombre de cellules de convection.
Cette vision simple est toutefois insuffisante. En effet, certains volcans (comme ceux de Hawaii ou le Piton de la Fournaise à la Réunion) apparaissent au milieu des plaques, indépendamment de toute structure tectonique. Ces points chauds sont interprétés comme la trace en surface de panaches convectifs provenant des profondeurs du manteau. Un second type de structure convective vient donc se superposer aux grandes cellules mises en évidence par la tectonique des plaques.
Géochimie.
Les géochimistes analysent les laves émises à la surface de la Terre et utilisent les éléments radioactifs de celles-ci comme traceurs pour remonter à la composition initiale de leurs sources dans le manteau. Ils distinguent principalement deux types de laves (figure 2) :
- les laves émises au niveau des dorsales océaniques appelées MORB (Mid Océan Rift Basalt) qui présentent une composition relativement constante sur l'ensemble de la planète. Ces laves proviennent donc d'un réservoir relativement homogène, occupant la partie supérieure du manteau.
- les laves des points chauds appelées OIB (Oceanic Island Basalt) qui présentent une composition variable, mais systématiquement plus riche en éléments primitifs et en gaz : il semble que ces laves proviennent d' une seconde couche plus profonde, demeurée isolée de la surface pendant des milliards d'années.
La morphologie et la profondeur de ces deux réservoirs ne sont cependant pas contraintes. La seule certitude est que la partie supérieure du manteau, d'où proviennent les laves appelées MORB, ne peut occuper plus de la moitié du manteau total.
Sismologie.
La sismologie permet de réaliser un " scanner " de l'intérieur de la Terre. Les images tomographiques, présentant une image tridimensionnelle des variations des vitesses sismiques dans le manteau, nous offrent en effet une coupe verticale de celui-ci : les zones de vitesses sismiques rapides correspondent en première approximation à des zones froides, et les zones de vitesses sismiques lentes à des zones chaudes (figure 3).
Ces images montrent en particulier que l'on peut suivre la subduction de certaines plaques océaniques jusqu'à 2900 km de profondeur : il existe des mouvements à l'échelle du manteau tout entier. Le problème est donc d'expliquer comment générer une dynamique à l'échelle globale sans toutefois mélanger le manteau, de manière à conserver deux réservoirs distincts.
Modèles de Convection
Convection à une couche.
Dans ce modèle (figure 4), le manteau convecte dans son intégralité, et est donc entièrement mélangé. Ce modèle satisfait la sismologie puisque les plaques océaniques plongent jusqu'à la base du manteau, mais ne respecte pas les bilans géochimiques puisqu'il ne dispose pas d'une couche primitive suffisamment importante.
Convection à deux couches.
Dans le modèle à deux couches (figure 5), le manteau est divisé en deux parties qui convectent séparément, sans échange de masse important (par exemple, manteau supérieur et manteau inférieur). Ce modèle satisfait la géochimie puisqu'il fait apparaître deux couches bien différenciées, mais ne respecte pas les données sismiques puisque dans ce contexte, les plaques océaniques demeurent bloquées à la transition entre les deux couches.
Modèle évolutif.
La tomographie est un outil très intéressant pour observer la dynamique du manteau, mais il faut se rappeler qu'elle ne propose qu'un cliché instantané des structures actuelles, et ne résout donc pas le problème de l'évolution sur des échelles de temps géologiques. La géochimie quant à elle propose une vision à plus long terme. Une manière de réconcilier ces observations est donc de supposer que le manteau était initialement stratifié de manière à conserver 2 réservoirs distincts, et que depuis quelques centaines de millions d'années seulement il évolue vers un régime à une couche.
La convection thermochimique.
Une autre manière de réconcilier les données est de supposer que le manteau terrestre est bien constitué de deux réservoirs différents, mais de densités très voisines (figure 6). Dans ce cas, on peut imaginer que sous l'effet de la convection, l'interface entre ces deux réservoirs se déforme, sans toutefois aboutir à un mélange complet. Un tel modèle satisfait donc la géochimie puisque l'on dispose de deux couches séparées et isolées sur des périodes très longues, ainsi que la sismologie puisque la subduction peut s'opérer sur toute l'épaisseur du manteau, l'interface étant défléchie par les plaques océaniques plongeantes.
Ce modèle semble prometteur, mais doit encore être étudié plus précisément pour être validé. La convection dans le manteau est donc aujourd'hui encore un thème de recherche important pour les géophysiciens.
Pour voir quelques images de convection analogique dans le manteau :
Institut de Physique du Globe de Paris - Mise à jour 11/2024
Site publié avec e-Lectron - Contact : Webmaster IPGP