Les Éruptions Volcaniques Explosives
Edouard Kaminski, PhD, Laboratoire de Dynamique des Systèmes Géologiques
Les volcans que l'on rencontre sur Terre connaissent des éruptions de natures différentes en fonction de la chimie de leurs laves. Les volcans à laves basaltiques, pauvres en silice et donc peu visqueuses, émettent plutôt des jets de gaz ainsi que des coulées fluides. Les volcans de l'île d'Hawaii en sont l'exemple le plus célèbre. À l'opposé, les laves acides sont riches en silice et plus visqueuses. Comme elles sont également très riches en gaz dissous, elles produisent des éruptions explosives très violentes. Le Vésuve, le Mont Pinatubo, la Montagne Pelée à la Martinique, la Soufrière de la Guadeloupe, ou encore le Mount St Helens, sont quelques exemples connus de ce type d'éruptions.
Ces éruptions ne sont pas aussi soudaines que les tremblements de Terre mais sont précédées d'une augmentation progressive de l'activité du volcan. Cette activité est marquée par un ensemble de signes précurseurs (notamment de séismes), que l'on doit surveiller pour protéger les populations. On peut interpréter ces signes précurseurs dans le cadre de modèles physiques basés sur des observations actuelles et historiques.
Nous allons ici rappeler les principales observations et présenter des explications physiques simples pour les interpréter.
Les observations
Des observations très anciennes sont disponibles sur les éruptions explosives, car elles ont laissé souvent des traces dans les sociétés humaines. L'éruption Minoenne du volcan Santorin dans les cyclades en -2600 par exemple a donné naissance au mythe du continent perdu de l'Atlantide. La célèbre éruption du Vésuve en 79 détruisit Pompéi et fut décrite par Pline l'ancien. Enfin l’éruption du Mount St. Helens aux Etats-Unis en 1980 a été le sujet de nombreux reportages journalistiques.
Les éruptions explosives se produisent sous la forme d'un jet de gaz transportant des morceaux de magma riche en bulles (qui deviennent des pierres ponces une fois refroidis), éjecté à forte vitesse de la bouche éruptive (Photo 1).
Le jet éruptif peut connaître deux évolutions :
- Dans certains cas, il monte jusqu'à quelques dizaines de kilomètres de hauteur dans la haute atmosphère et s'étale pour former un parapluie dit Plinien, d'où sédimentent les ponces et les cendres en pluie. Cette phase est décrite plus en détail pour l'éruption du Vésuve en 79 après JC.
- Dans d'autres cas, le jet ne remonte que jusqu'à un ou deux kilomètres dans l'atmosphère, puis retombe en avalanches sur les pentes du volcan, sous la forme de coulées dévastatrices dites pyroclastiques (Photo 2).
Ces coulées pyroclastiques correspondent aux Nuées Ardentes qui sont décrites pour le Vésuve.
Ces deux manifestations de l'explosivité (Figure 1) ont donc des conséquences très différentes pour les groupes humains établis à proximité, et il est très important de comprendre le passage d'un régime à l'autre. La dynamique des fluides permet de donner une réponse à cette question.
Les modèles de dynamique des fluides
Pour comprendre l’évolution du jet volcanique, il faut dans un premier temps redescendre dans le conduit volcanique. Sous un volcan, on trouve en général un réservoir de magma, appelé chambre magmatique, qui se situe souvent aux environs de cinq kilomètres de profondeur. À cette profondeur, la pression est forte en raison du poids des roches sus-jacentes (comme la pression au fond d’une piscine augmente par le poids de l’eau) et les gaz sont dissous dans le liquide (comme le gaz est dissous dans le champagne avant que l’on ouvre la bouteille).
Lorsque le magma remonte vers la surface par le conduit volcanique, la pression diminue au fur et à mesure que la profondeur diminue, et les gaz quittent le magma pour former des bulles : c’est l’exsolution . C’est ce phénomène d’exsolution qui se produit violemment lorsque l’on débouche une bouteille de champagne, mais il a lieu ici progressivement au fur et à mesure que la pression diminue. Dans le cas d’un verre de champagne, les bulles remontent vers la surface, mais dans le cas des laves acides très visqueuses les bulles restent piégées dans le magma, comme il arrive parfois que des bulles soient piégées dans de la colle ou de l’ambre.
On se retrouve donc avec un magma contenant de plus en plus de bulles au fur et à mesure de sa remontée. Or, les bulles allègent le magma, ce qui le fait remonter de plus en plus vite (comme un sous-marin qui vide ses ballasts). Comme le magma remonte de plus en plus vite, il se décomprime de plus en plus vite, contient de plus en plus de gaz et accélère de plus en plus.
À un moment donné, la teneur en bulles et tellement forte et la vitesse tellement élevée que la " mousse " magmatique n’est plus stable. Les parois entre les bulles sont si fines et si déformées que les bulles éclatent, la mousse se " fragmente " et les bulles libèrent leur gaz pour former un jet turbulent transportant des morceaux de magma, comme un jet de champagne transportant des gouttelettes de liquide. Les gouttelettes de liquide sont ici soit des parois de bulles, et elles donneront alors les cendres une fois refroidies, soit des morceaux de magma bulleux dont toutes les bulles n’ont pas explosé, et dans ce cas elles donneront des ponces une fois refroidies. Ce jet continue ensuite de monter jusqu’à la bouche éruptive où il est projeté dans l’atmosphère. Ces étapes sont représentées sur la Figure 2.
Initialement, le mélange formé par le gaz volcanique et les morceaux de magma pulvérisé remonte dans l'atmosphère sous l'effet de sa vitesse initiale à la sortie du conduit. Cependant, parce qu’il contient des morceaux de magma il est plus lourd que l'air. Il perd donc de l'énergie cinétique lors de son ascension car il lutte contre la gravité, et sa vitesse diminue. D'autre part, les tourbillons en bord du panache incorporent de l'air ambiant qui est réchauffé et allège le mélange, comme l’air réchauffé dans une montgolfière.
Deux évolutions sont alors possibles (Figure 3):
- Si le mélange aux bords du panache est peu efficace, à une hauteur donnée toute l'énergie cinétique initiale est consommée, et le panache retombe sous son propre poids. Il donne alors naissance à des coulées pyroclastiques ou nuées ardentes. Dans le cas d’une montgolfière, on pourrait imaginer que le brûleur n’est pas assez efficace et le ballon retomberait vers le sol.
- Si le mélange est au contraire efficace, l'air incorporé et réchauffé dans le panache l'allège assez pour qu'il soit plus léger que l'air ambiant (la montgolfière décolle de même dès qu’elle contient assez d’air chaud). Le panache est alors soumis à une poussée d'Archimède vers le haut (comme un ballon que l’on plonge dans l’eau) et continue son ascension jusqu'à la haute atmosphère. La densité de l'atmosphère diminue aux hautes altitudes, et à une altitude donnée, le panache et l'air ambiant sont de même densité (de même qu’une montgolfière arrête de monter à une hauteur donnée). C'est à cette hauteur que le panache s'étale pour former un parapluie ou champignon Plinien d’où pleuvent les cendres et les ponces.
Les équations de " conservation " de la dynamique des fluides - conservation de la masse, de la quantité de mouvement et de l'énergie - permettent de modéliser de façon quantitative l'évolution du panache.
La résolution de ces équations indique que la transition entre coulée pyroclastique et panache Plinien dépend du rayon du conduit éruptif, de la teneur en gaz dans l'écoulement et de la vitesse initiale du jet.
Plus le rayon de la bouche éruptive est grand, plus le mélange entre air ambiant et gaz du jet est long à réaliser, et plus on tend vers des coulées pyroclastiques (on a une très grosse enveloppe de montgolfière qui est donc plus dure à chauffer).
Plus la teneur en gaz est forte dans le mélange volcanique, moins le jet est dense, et plus il a tendance à donner un panache Plinien (notre montgolfière est plus légère au départ donc il faut moins de poussée pour qu’elle décolle).
Plus la vitesse initiale est élevée enfin, plus la turbulence est forte et plus le mélange est efficace, et plus l'énergie cinétique disponible est importante (plus le brûleur de notre montgolfière est puissant). Dans ce cas, on favorise plutôt les panaches pliniens.
La vitesse et le rayon de la bouche éruptive sont reliés par le flux de masse, c’est-à-dire la quantité de matière éjectée par le volcan en un temps donné. Cette quantité est obtenue à partir des variations de l’épaisseur des dépôts en fonction de la distance à la bouche éruptive.
Plus les dépôts sont épais et étendus, plus le flux de masse est élevé. La vitesse est quant à elle en première approximation la vitesse du son dans le mélange. Celle-ci est déterminée par la teneur en gaz dans le magma, que l’on obtient par les mesures d’inclusions fluides piégées dans les cristaux.
On peut alors exprimer les conditions de la transition coulée pyroclastique - panache Plinien dans un diagramme " flux de masse en fonction de teneur en gaz " (figure 3). On voit sur ce diagramme qu'une augmentation du flux de masse ou une diminution de la teneur en gaz entraîne la génération de coulées pyroclastiques.
Pour les éruptions historiques bien documentées, par exemple celle du Mount St. Helens, on observe effectivement que l'apparition des coulées pyroclastiques correspond à une augmentation du flux de masse (Figure 4). Les modèles de dynamique des fluides pour les jets volcaniques sont donc validés par les observations.
Les modèles simples présentés ici permettent de mieux comprendre les phénomènes majeurs mis en jeu lors des éruptions et de mettre plus clairement en évidence les risques naturels associés. Ils jouent ainsi un rôle important dans la sensibilisation des populations et des pouvoirs publics. Ces modèles n'ont toutefois pas un rôle prédictif et la surveillance, par les obervatoires volcanologiques notamment, reste indispensable à la protection effective des populations.
Pour en savoir plus :
Les volcans, Claude Jaupart, Collection Dominos, Flammarion
Editeur : G. Brandeis
Institut de Physique du Globe de Paris - Mise à jour 11/2024
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