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Le volcanisme de point chaud de l’Océan Pacifique Sud

Alain Bonneville , PhD - Laboratoire de Géosciences Marines


Figure 1 : Un atoll témoin en surface des chaînes volcaniques sous-marines
Figure 1 : Un atoll témoin en surface des chaînes volcaniques sous-marines


On trouve en plein milieu de l’océan Pacifique, à plusieurs milliers de km des plus proches continents, des dizaines d’îles qui sont autant de volcans, éteints pour la majorité ou en activité comme Hawaii. Mais elles ne représentent que la partie apparente de vastes chaînes sous-marines qui comportent plusieurs milliers d’édifices.


Figure 2: Coupe schématique de l'intérieur de la Terre
Figure 2: Coupe schématique de l'intérieur de la Terre

Pour comprendre comment se forment ces volcans, il faut revenir sur quelques notions de base concernant notre planète (Fig. 2) . La couche externe de la Terre est rigide, c’est la lithosphère. Elle repose sur une couche appelée asthénosphère qui, plus plastique, est animée d’un lent mouvement de circulation de matière appelée convection. Dans son mouvement, l’asthénosphère entraîne la lithosphère qui se fracture en plusieurs plaques. La plus grande est la plaque Pacifique. Elle est entièrement océanique et se crée au niveau des dorsales médio-océaniques. Elle disparaît sous les plaques continentales qui la bordent au niveau des zones de subduction.

La dorsale océanique peut être vue comme une chaîne continue de volcans où est fabriquée la croûte océanique essentiellement faite de basalte tout au moins dans sa partie la plus superficielle. Mais ce n’est pas le seul lieu où s’exprime le volcanisme et les volcans de type basaltique qui nous intéressent, au cœur de la plaque Pacifique, sont le fruit d’un volcanisme de point chaud.


Figure 3 : Chaîne des Volcans d'Hawaii
Figure 3 : Chaîne des Volcans d'Hawaii

Ce concept a été int roduit en 1963 par un géophysicien canadien, le Dr J. Tuzo Wilson pour expliquer l'âge de plus en plus grand des volcans d'Hawai'i le long de la chaîne quasi linéaire qu'ils forment. Selon lui, il existe une source de magma en profondeur dans l’asthénosphère qui est fixe par rapport à la plaque Pacifique et génère du magma qui se fraie un chemin au travers de la lithosphère jusqu’à la surface pour y créer des volcans qui s’alignent suivant la direction absolue de déplacement de la plaque. Ainsi on peut retrouver dans la géométrie des chaînes volcaniques et notamment de celle d'Hawai'i, l'histoire des changements de direction du mouvement de la plaque Pacifique au cours du temps. Le coude formé il y a 43 Ma par les Chaines Empereur et Hawai'i en est l'exemple le plus frappant.

Il existe plusieurs points chauds à la surface du globe. Leur origine, leur profondeur font encore l'objet de très nombreux débats. Ceux dont l'origine serait la plus profonde auraient une durée de vie très longue, d’au moins quelques dizaines de millions d’années, et seraient à peu près immobiles dans un repère lié à la Terre et seraient la conséquencedes panaches remontant dans le manteau.


Figure 4  : Les points chauds du Pacifique. © UPF
Figure 4 : Les points chauds du Pacifique. © UPF

Ce phénomène est particulièrement important dans la partie centrale du Pacifique au sud de l’équateur, région qui correspond à peu près à la Polynésie française. Elle se caractérise par un gonflement de grande ampleur du plancher océanique (600 m d'amplitude à son maximum pour 2000 km d'extension) appelé le Superbombement du Pacifique Sud. On y trouve de très nombreux alignements volcaniques, avec des centaines de monts sous-marins et plus d’une centaine d’îles constituant les archipels des Marquises, des Tuamotu, de Pitcairn-Gambier, de la Société et des Australes-Cook. Trois volcans sont actifs (point rouge sur la figure) et bien localisés, celui de Pitcairn, à la limite Est de la zone, celui de la Société, dans l'Est de Tahiti, et celui des Australes au niveau du mont sous-marin Macdonald. Trois points chauds sans manifestation actuelle d'activité sont également supposés dans cette zone : celui des Marquises, celui de Rurutu et celui de Rarotonga.

Cette région est bien étudiée par les chercheurs de l’Institut de Physique du Globe de Paris qui y ont déjà réalisé plusieurs campagnes océanographiques.
Pour en savoir plus sur les différentes mesures effectuées pendant ces campagnes océanographiques, reportez vous à l'annexe ci-dessous.


Figure 5 : Différents archipels de la Polynésie Française. © IPGP
Figure 5 : Différents archipels de la Polynésie Française. © IPGP



Les différents archipels de Polynésie française

Nous allons nous intéresser de plus près à quelques uns de ces archipels, en commençant par le plus connu, celui des îles de la Société dont l'île de Tahiti fait partie.


Figure 6 : Archipel de la Société.
La flèche noire matérialise le déplacement absolu de la Plaque Pacifique depuis 5 Ma au dessus du point chaud de Meetia. © IPGP
Figure 6 : Archipel de la Société. La flèche noire matérialise le déplacement absolu de la Plaque Pacifique depuis 5 Ma au dessus du point chaud de Meetia. © IPGP

L'archipel de la Société, long de 500 km, couvre environ 65 000 km2. Outre deux atolls coralliens, qui sont d’anciens îles hautes (Tupai, Tetiaroa), il compte huit édifices principaux depuis l'île de Maupiti à l'extrême nord vieille de 4,34 Millions d'années (ou Ma) jusqu'au volcan Meetia au sud-est (435 m), le plus jeune, et qui matérialise la position actuelle du point chaud dont la dernière activité sous-marine remonte à 1986. Tahiti, île haute de 2200 m, repose sur un plancher profond de 3000 m et forme donc un massif de plus de 5000 m de haut si l’on enlève l’océan, pour un diamètre à la base de 120 km et une circonférence de 360 km. Ces altitudes observées sont donc très comparables aux plus hautes montagnes continentales.

Cette migration du volcanisme est très compatible avec le déplacement de la plaque Pacifique au dessus d'un point chaud.


Figure 7 : Archipel des Marquises. © IPGP
Figure 7 : Archipel des Marquises. © IPGP

Les Marquises forment une chaîne de 355 km de long avec plus de vingt îles et monts sous-marins majeurs. Elles reposent sur une croûte océanique formée entre 45 à 65 Ma et profonde de 4500 à 5000 m en moyenne. Les datations des îles montrent une progression de l'âge de 5.33 à 1.61 Ma depuis Eiao jusqu'à Fatu Hiva. Il n'y a aucune trace de volcanisme récent ou actuel, aérien ou sous-marin aux Marquises.

Cette migration du volcanisme est bien compatible avec le déplacement de la plaque au dessus d'un point chaud.



Figure 8 : Archipel des Iles Australes. © IPGP
Figure 8 : Archipel des Iles Australes. © IPGP

Les Australes

L'archipel des Iles Australes sur lequel nous nous attarderons davantage, est long de plus de 1500 km et se prolonge au nord par l'alignement des îles Cook. 7 îles principales le composent : Rimatara, située au nord de l'Archipel, a un âge estimé à plus de 19.5 Ma tandis qu'à l'extrémité sud, le MacDonald qui a connu sa dernière crise éruptive en 1988, correspond à la position actuelle d’un point chaud. L'âge de la croûte océanique varie de 40 Ma à 70 Ma du sud au nord.

La progression régulière avec l'âge le long de la trajectoire du point chaud se trouve battue en brèche puisque qu'à Rurutu, on trouve du volcanisme daté à 12 Ma voisin d’un volcanisme daté à 1,2 Ma.


Figure 9 : Ile de Rurutu. © IPGP
Figure 9 : Ile de Rurutu. © IPGP



Deux points chauds distincts ont donc été évoqués pour expliquer de telles observations. L’île de Rurutu est typique de la complexité des événements qui se sont succédés dans cette région.

- Il y a plus de 55 Ma, un premier point chaud a généré le mont Lotus, dont seuls des bancs de corail sous la surface de l’eau témoignent encore de la présence.

- Puis il y a 12 Ma, le volcan qui allait donner l’île de Rurutu perce le fond de l’océan.

- Enfin il y a 1.5 Ma, un nouveau point chaud génère du magma sous Rurutu qui gonfle, comme en témoignent les falaises remontées de plus de 100 m. Ce magma arrive en surface et donne les derniers produits volcaniques connus sur l’île.



Figure 10 : Le Mont Arago. © ZEPOLYF
Figure 10 : Le Mont Arago. © ZEPOLYF

Une campagne océanographique a eu lieu en 1999 (programme ZEPOLYF) et a permis entre autres de reconnaître et cartographier le mont sous-marin susceptible d’être à l’origine du volcanisme récent de Rurutu : le mont Arago. Ce mont avait été baptisé Tinomana par un pêcheur de Rurutu qui a coutume de venir pêcher sur les hauts-fonds coralliens qui le recouvrent, situés à 23 m seulement de la surface, et qui matérialisent le sommet de ce volcan, s'élevant à plus de 4500 m au dessus du plancher océanique.

C’est un mont aux formes jeunes recouvert de très nombreux cônes qui sont autant de points de sortie de la lave. On distingue aussi sur son flanc ouest (à gauche de la figure) , un grand glissement de terrain comme l’on en rencontre fréquemment sur des volcans de ce type (Tahiti et Rurutu par exemple) et qui sont des conséquences de la mise en place en force du magma dans l’édifice.


Figure 11 : Balade au milieu des guyots sous-marins au Nord de l'Ile de Rapa. © IPGP
Figure 11 : Balade au milieu des guyots sous-marins au Nord de l'Ile de Rapa. © IPGP

Pour terminer ce bref tour d’horizon du volcanisme intra-plaque de l’océan Pacifique Sud, nous vous proposons une excursion virtuelle autour des guyots de la région centrale des Australes.

Les guyots sont des monts sous-marins qui ont été des îles puis des atolls et qui ont été engloutis, entraînés par le plancher océanique dans son enfoncement régulier avec le temps. Situés au Nord-ouest de l’île de Rapa, cet ensemble de guyots, anciens volcans recouverts de plateaux de calcaire est beaucoup plus vieux que les îles des Australes et a probablement été créé en même temps que la croûte océanique. Ils constituent des hauts-fonds connus sur les cartes marines sous le nom de banc Neilson. Pour voir un survol du guyots, cliquez ici



En résumé :

Le Pacifique Sud connaît depuis 40 Ma une activité volcanique ininterrompue comme en témoignent les centaines de monts sous marins recensés sur son plancher, qui présente, de plus, un vaste bombement causé par la poussée d'un superpanache ancré profondément dans le manteau terrestre. Sur ce super-bombement, il existe plusieurs chaînes de mont sous-marins et îles générées chacune par un point chaud différent et qui ont une durée de vie moyenne de 10 Ma. Plusieurs points chauds peuvent être actifs au même moment et un même chemin peut être emprunté par le magma à des temps très différents donnant au même endroit des épisodes de volcanisme séparés par plusieurs millions d'années. Ces points chauds sont liés à des panaches peu profonds trouvant probablement leur origine à la surface de ce superpanache

Les constantes de temps de ces phénomènes et leur répartition spatiale sont des éléments clés pour la compréhension des mécanismes physico-chimiques à l'œuvre dans le manteau terrestre et qui sont à l'origine de ce volcanisme de point chaud.

Pour en savoir plus :

- sur les campagnes en mer


- sur le volcanisme :

http://volcano.ipgp.jussieu.fr:8080/

http://perso.club-internet.fr/decobed/

http://volcano.und.nodak.edu/vw.html



Mots clés :

Editeur : G. Brandeis



ANNEXE : Les mesures effectuées pendant les campagnes océanographiques

Figure A1: Sondage bathymétrique multi-faisceaux.
Figure A1: Sondage bathymétrique multi-faisceaux.



Plusieurs types de mesures peuvent être réalisées pendant une campagne océanographique à caractère géologique et géophysique.

Tout d'abord, il faut connaître précisément la topographie du plancher océanique. On utilise pour cela des sondeurs acoustiques, ou sonar, qui détermine la profondeur d'eau en un point sous le bateau (sondeur mono-faisceau) ou suivant un profil perpendiculaire au bateau (sondeur multi-faisceaux). Ces mêmes sondeurs peuvent aussi donner des informations sur la nature de la surface du fond (dureté, etc..)

Ensuite, il importe de connaître l'âge de ce plancher, on le fait en utilisant les anomalies d'aimantation de la croûte océanique mesurées à l'aide d'un magnétomètre. On peut aussi vouloir connaître les anomalies de densité en profondeur (présence de corps plus lourds ou plus légers) dans la croûte et on utilise alors un gravimètre mesurant l'intensité de la pesanteur.

A ces trois méthodes qui sont mises en œuvre quasiment en routine pendant une campagne, peuvent venir se rajouter des mesures plus spécifiques et souvent plus lourdes comme la sismique réflexion (permettant de connaître les structures sédimentaires) ou réfraction (permettant de mesurer l'épaisseur de la croûte) ou bien encore les mesures de flux de chaleur.



Figure A2 : Remontée des roches draguées à bord du navire. © ZEPOLYF
Figure A2 : Remontée des roches draguées à bord du navire. © ZEPOLYF

Pendant ces campagnes, on se fixe des objectifs bien précis, par exemple l'étude d'un mont sous-marin ou d'un segment de chaîne. Le bateau tente de les atteindre en réalisant des profils de mesures permettant d'optimiser les manœuvres et de gagner du temps toujours précieux en mer

A ces opérations qui relèvent de la géophysique, viennent s'ajouter toutes celles qui concernent la géologie. Elles consistent principalement à récolter des échantillons de roche du fond à l'aide de drague et à acquérir des images ou des films à l'aide de submersibles habités ou autonomes.

Les échantillons, principalement de basalte, sont ensuite analysés en laboratoire à terre afin de connaître leur composition chimique qui renseigne sur leur origine et leur histoire. Leur âge est aussi déterminé à l’aide d’une méthode s’appuyant sur les temps de désintégration des éléments radioactifs présents naturellement dans la roche.

Les campagnes en mer, nécessitant une préparation souvent de plusieurs années et représentant des budgets importants, impliquent la participation de très nombreuses équipes souvent internationales, tant pour l'acquisition que pour le dépouillement des données ou l'analyse des échantillons.
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